Bonjour Kobus, et bonjour à tous les lecteurs du blog !

Cet article fait suite à une réunion que Kobus et moi-même avons organisée sur Marseille en ce début d’année 2017… Fidèle à sa démarche de comprendre au mieux la manière dont les kinésithérapeutes réfléchissent, l’équipe Kobus m’a proposé de mettre à l’écrit quelques principes sur le raisonnement clinique ; le cœur de notre métier ?

Ce sujet est particulièrement vaste et complexe ; et on peut aborder celui-ci de nombreuses manières parfois très différentes ; j’en propose ici une approche vulgarisée, basée principalement sur de la littérature blanche, que vous trouverez en ressources de cet article. Évidence pour certains, découverte pour d’autres, cet article se veut avant tout global.

Je suis praticien en kinésithérapie libérale, avec une majorité de patients consultant pour des problèmes musculo-squelettiques. Les exemples pris dans cet articles sont influencés dans ce sens. Toutefois, sauf erreurs ou spécificités, les principes exposés ici s’appliquent, à quelques nuances près, à l’ensemble des champs cliniques.

Chacune des notions présentées dans cet article pourraient être grandement développées, nuancées ou adaptées, mais l’ensemble représente déjà un panel d’informations assez conséquent.

Le raisonnement clinique ?

Grossièrement, le raisonnement clinique, c’est Comment les praticiens réfléchissent”.
Mais si nous le définissons un peu plus précisément, le raisonnement clinique est une compétence, celle d’analyser des situations et de prendre des décisions. Ou encore, c’est l’idée de résoudre des problèmes cliniques.

Cette compétence nous est permise par l’évolution de notre profession, d’un statut “d’exécutants” à un statut de “décideurs”, par la nouvelle définition de la masso-kinésithérapie en attestant, et par notre référentiel d’activités et de compétences plaçant cette démarche – de raisonnement clinique – en tête de liste.

Loin d’être spécifique à notre profession, le raisonnement clinique est utilisé par la quasi totalité des soignants, décliné bien sûr en fonction de leurs domaines d’expertise. Il est étudié, théorisé et enseigné depuis de nombreuses années, et est décrit par Charlin et Al. 2012  comme un processus complexe, multifactoriel et non linéaire

Vous avez dit “complexe” ?

Complexe, oui ! Et c’est peu dire ! Chaque praticien réfléchit différemment face à un même patient. En fonction de ses formations, initiale et continues, et la manière dont il les a intégrées à sa pratique ; mais aussi en fonction de son vécu, sa personnalité, l’influence de ses collègues, les contraintes logistiques, etc…

Complexe, donc, mais je vous propose aujourd’hui de comprendre les grands principes de ce raisonnement clinique, la trame que nous utilisons tous, peu importe notre domaine d’activité ou notre expérience.

Pourquoi ?

Parce que mieux comprendre comment vous réfléchissez vous permet, si vous le souhaitez, d’améliorer votre raisonnement clinique de manière ciblée et en conscience.

Ça vous tente ?

…vous continuez à lire ? Ok, rentrons donc dans les principes sous jacents à nos réflexions.

Au menu du jour, je vous propose de :

– Comprendre que le raisonnement clinique est un assemblage de deux processus conjoints ;

– Réfléchir sur le raisonnement par hypothèses ;

– Décrypter ensemble une modélisation du raisonnement clinique ;

– Comprendre comment utiliser toutes ces connaissances pour améliorer sa propre pratique.

Le raisonnement clinique : des processus intuitifs et analytiques

Raisonner par intuition, c’est être mené vers ses choix – diagnostics, pronostics, ou choix d’intervention – de manière intuitive, c’est à dire sans démarche consciente.

Certains parlent du raisonnement intuitif comme étant “par défaut” pour la plupart des situations et des professionnels.

Le raisonnement “analytique” est l’idée de raisonner de manière séquencée : mettre à plat consciemment, de manière “scolaire”, toutes les informations, formuler des hypothèses sans a-priori, et choisir celles qui sont les plus pertinentes au vu de la situation.

Raisonner intuitivement présente deux avantages très nets : la rapidité et le faible coût énergétique. Ce processus implique la création et la validation d’hypothèses cliniques – nous reviendrons dessus – simultanément au recueil de données ;

…là où raisonner analytiquement implique un scan détaillé de toutes les informations, pour, ensuite seulement, tirer des conclusions. Ce dernier mode de raisonnement tire son épingle du jeu, vous l’aurez deviné, dans les situations plus complexes, où les choses sont moins évidentes, et où l’intuitif échoue.

Mais loin de les opposer, il est en réalité probable que chaque praticien utilise, dans son raisonnement, ces deux processus simultanément.

Toutefois, nous noterons la possibilité d’une interaction entre les deux processus. Je veux dire que, de la même manière que dans nos pratiques kiné, nous apprenons à améliorer nos propres automatismes (postures, gestes techniques, éléments de langage, etc…) et ceux de nos patients, résoudre analytiquement des situations cliniques influence la manière dont nous raisonnons intuitivement.

Le raisonnement analytique peut donc à mon sens être envisagé en tant qu’exercice, comme un outil majeur dans l’amélioration de nos compétences.

…Encore faut il en avoir les bases… Voyons donc ça de plus près 😉

Hypothèses cliniques : concept

Une des approches les plus développées en matière de raisonnement clinique est le raisonnement par hypothèses. Consciemment ou non, et dans la plupart des cas, nous raisonnons par formulation d’hypothèses, que nous validons au fur et à mesure de notre évaluation.

Lorsqu’un patient se présente à nous, il se crée dans notre tête de praticien une large liste d’hypothèses cliniques, qui, à la manière d’un entonnoir, vont se valider ou s’invalider en fonction des informations recueillies, jusqu’à formulation de notre diagnostic.

Je ne détaille pas plus, prenons d’abord un exemple fictif, grossier et simplifié.

Imaginons un patient, se présentant à nous avec une prescription : “Rééducation du genou gauche”. Avant même qu’il n’ait prononcé un mot, pourrait se former dans votre tête, la liste d’hypothèses suivante :

(Pas du tout exhaustive, et classées par ordre alphabétique.)
– Arthrose
– Contractures musculaires
– Courbatures
Douleurs neurologiques périphériques
– Fissure méniscale
– Fracture
– Lésion musculaire
– Luxation de la rotule
– Rhumatisme inflammatoire
– Rupture ligamentaire
– Sensibilisation centrale
– Sursollicitation mécanique par déficits biomécaniques sus- ou sous-jacents
– Syndrôme fémoro patellaire
– Syndrôme de la graisse de Hofa
– Syndrôme de la bandelette ilio-tibiale
– Tendinopathie des ischio-jambiers
– Tendinopathie du tendon du quadriceps
– Traumatisme bénin
– Troubles fonctionnels
– Troubles circulatoires
– Troubles infectieux
– Trigger points
(Impossible de tous les faire…)

En conduisant un entretien rapide avec votre patient, vous obtenez un à un des éléments pour éliminer certaines hypothèses, et en valider d’autres… Voyons comme chaque information valide ou invalide des hypothèses :

Information obtenue J’apprends qu’il y a une douleur, qu’elle est localisée en un point précis à l’articulation du genou…. …À la face antérieure du genou… …la douleur est mécanique, sans gros troubles fonctionnels, sans histoire de trauma…
– Arthrose
– Contractures musculaires
– Courbatures
– Douleurs neurologiques périphériques
– Fissure méniscale
– Fracture
– Lésion musculaire
– Luxation de la rotule
– Rhumatisme inflammatoire
– Rupture ligamentaire
– Sensibilisation centrale
– Sursollicitation mécanique par déficits biomécaniques sus- ou sous-jacents
– Syndrôme fémoro patellaire
– Syndrôme de la graisse de Hofa
– Syndrôme de la bandelette ilio-tibiale
– Tendinopathie des ischio-jambiers
– Tendinopathie du tendon du quadriceps
– Traumatisme bénin
– Troubles fonctionnels
– Troubles circulatoires
– Troubles infectieux
– Trigger points
– Arthrose
Contractures musculaires
Courbatures
Douleurs neurologiques périphériques
– Fissure méniscale
– Fracture
Lésion musculaire
– Luxation de la rotule
– Rhumatisme inflammatoire
– Rupture ligamentaire
Sensibilisation centrale
– Sursollicitation mécanique par déficits biomécaniques sus- ou sous-jacents
– Syndrome fémoro patellaire
– Syndrome de la graisse de Hofa
– Syndrome de la bandelette ilio-tibiale
– Tendinopathie des ischio-jambiers
– Tendinopathie du tendon du quadriceps
– Traumatisme bénin
– Troubles fonctionnels
Troubles circulatoires
Troubles infectieux
Trigger points
– Arthrose
– Fissure méniscale
– Fracture
– Luxation de la rotule
– Rhumatisme inflammatoire
– Rupture ligamentaire
– Sursollicitation mécanique par déficits biomécaniques sus- ou sous-jacents
– Syndrôme fémoro patellaire
– Syndrôme de la graisse de Hofa
Syndrome de la bandelette ilio-tibiale
Tendinopathie des ischio-jambiers
– Tendinopathie du tendon du quadriceps
– Traumatisme bénin
– Troubles fonctionnels
Arthrose
– Fissure méniscale
Fracture
Luxation de la rotule
Rhumatisme inflammatoire
Rupture ligamentaire
– Sursollicitation mécanique par déficits biomécaniques sus- ou sous-jacents
– Syndrome fémoro patellaire
– Syndrome de la graisse de Hofa
– Tendinopathie du tendon du quadriceps
Traumatisme bénin
Troubles fonctionnels

Pour nous retrouver, à la fin de notre entretien, avec cet ensemble d’hypothèses :
– Fissure méniscale
– Sursollicitation mécanique par déficits biomécaniques sus- ou sous-jacents
– Syndrôme fémoro patellaire
– Syndrôme de la graisse de Hofa
– Tendinopathie du tendon du quadriceps

Imaginez toujours votre patient ; nous allons devoir différencier ces différentes hypothèses pour valider notre diagnostic. Un choix de tests va nous permettre de valider ou invalider les hypothèses restantes pour proposer un traitement.

Tests cliniques effectués Test de contractions isométriques des extenseurs du genou, à différents degrés de Flexion du genou : tous négatifs Test de palpation du coussinet graisseux de Hofa : Négatif Analyse biomécanique globale : Rien à signaler Test de Thessaly : positif
– Fissure méniscale
– Sursollicitation mécanique par déficits biomécaniques sus- ou sous-jacents
Syndrôme fémoro patellaire
– Syndrôme de la graisse de Hofa
Tendinopathie du tendon du quadriceps
– Fissure méniscale
– Sursollicitation mécanique par déficits biomécaniques sus- ou sous-jacents
Syndrôme de la graisse de Hofa
– Fissure méniscale
Sursollicitation mécanique par déficits biomécaniques sus- ou sous-jacents
– Fissure méniscale

Youpi, nous sommes bien en présence d’une lésion méniscale. Nous mettrons en place une rééducation appropriée.

NB : En cas d’absence de tests permettant de discriminer certaines hypothèses entre elles, la mise en place d’un traitement “test” et l’évaluation de la réponse au traitement peut également être une démarche valable.

Tous ces processus se sont passés en quelques instants, et bien souvent de manière totalement automatisée. Dans notre tête, une représentation du problème a évolué au fur et à mesure des informations recueillies, pour en venir à un diagnostic donné, la “version finale” de notre interprétation du problème.

Les “chemins” suivis par les praticiens peuvent être extrêmement différents ; toutefois on observe souvent deux phases plus ou moins distinctes : une phase d’entretien avec le patient, et une phase de mise en place de tests cliniques.

Globalement encore une fois, la phase d’entretien avec le patient permettra d’obtenir une idée générale de la situation, en obtenant des données variées et permettant de formuler un nombre restreint d’hypothèses ; la phase de tests cliniques permettra d’obtenir des informations supplémentaires, mais aussi de valider ou invalider les hypothèses, c’est à dire d’effectuer un diagnostic différentiel.

Hypothèses cliniques : précisions sur la fiabilité des informations et tests…

La démarche que nous venons de dégrossir se doit d’être nuancée par un élément de taille : Les recueils d’informations, scores, tests, ou autres évaluations, ne sont jamais fiables à 100%.

Nous ne sommes pas dans un monde parfait, et il ne suffit pas de constater qu’un test est positif ou négatif, pour conclure de la présence ou de l’absence d’une pathologie. La présence de faux positifs et faux négatifs venant perturber nos conclusions, chaque test se caractérise par un ensemble de valeurs métronomiques données – la métronomie étant la science des mesures-, notamment :

– Sensibilité
– Spécificité
– Ratio de vraisemblance (RV)
– Valeur prédictive positive (VPP)
– Valeur prédictive négative (VPN)

Chaque test que nous mènerons en clinique ne nous donnera pas de réponse toute faite… Certains tests vont plutôt valider certaines hypothèses, sans exclure les autres (les tests à bonne Valeur Prédictive Positive)… D’autres vont plutôt invalider d’autres hypothèses (les tests à bonne Valeur Prédictive Négative)… Et certains tests pourront se combiner entre eux au moyens des Ratios de Vraisemblance pour affiner nos conclusions…

Il est en ce sens fondamental de prendre du recul sur les conclusions que nous tirons de nos tests : loin d’une logique manichéenne et simpliste, il nous incombe d’appréhender nos entretiens avec les patients et nos évaluations cliniques avec finesse, en gardant en tête un certain degré d’incertitude, et en cherchant à combiner les informations et les tests entre eux.

La compréhension des notions sus-citées : Sensibilité, spécificité, RV, VPP, VPN est indispensable à une pratique raisonnée, mais doit être le fruit d’un apprentissage, ou a minima d’explications que nous ne développerons pas ici. Je vous invite fortement à vous documenter sur ces principes, indispensables à une évaluation clinique basée sur les preuves.

Hypothèses cliniques : du “diagnostic” pour de vrai ?

Ceux d’entre vous qui ont déjà eu entre les mains des recommandations de bonnes pratiques verront rapidement de quoi je parle : établir un réel “diagnostic” est tout sauf aisé.

Prenons un exemple. Avez-vous une idée de ce qu’est un syndrome fémoro-patellaire ?
Bien souvent, on a l’idée d’une déviation latérale de la rotule. Pour des raisons diverses… VFE, faiblesse du vaste médial du quadriceps, raideurs du biceps fémoral, faiblesse des stabilisateurs latéraux…

Prenons maintenant une définition un peu plus “evidence-based”, d’experts sur le sujet :

Source :  http://www.kinex.cl/papers/Rodilla/Patellar%20Nomenclature.pdf

Ou encore, considérons le nombre de d’étiologies des douleurs lombaires : https://youtu.be/JuzQzTi-iqOo

Voire des Atteintes neurologiques périphériques :

C’est là où l’expérience entre en jeu : beaucoup se retrouveront dans le constat qu’au sortir du diplôme, le jeune praticien est particulièrement riche en… Certitudes. Des étiquettes, bien collées sur chaque pathologie ou syndrôme, une compréhension relativement claire de la symptomatologie…
Jusqu’au moment de la confrontation avec la pratique, et la littérature scientifique, qui apprennent à nuancer de plus en plus : on commence à comprendre que chaque syndrôme, derrière son “étiquette” , décline une multitude de spécificités, ne serait-ce qu’en terme de “structures en causes”.

Mais, pragmatiquement parlant, quelle est la pertinence d’aller à la recherche de ces informations ? Une démarche diagnostique peut potentiellement être infinie : si nous en avions le temps et les moyens, nous pourrions recueillir des millions d’informations sur chacun de nos patients… Mais alors la question à se poser devient : “Jusqu’à quel point ma recherche d’informations enrichit mon traitement ? À partir de quand elle devient superflue ?

Ainsi, peut-être qu’une nuance supplémentaire pourrait être envisagée, “en cherchant moins à établir un diagnostic qu’à obtenir une quantité suffisante d’informations pour… nous permettre d’agir“. Cela pourrait s’apparenter plus à de la classification dans un but d’action.

En d’autres termes et en guise d’exemple : “A quoi bon distinguer une lésion traumatique musculaire, aponévrotique ou tendineuse, si le traitement est le même ? Pourquoi continuer mon “diagnostic” ? ”

Ainsi s’adapte-t-on à l’incertitude de la pratique clinique, en envisageant notre compréhension de la situation à la lumière de nos capacités à agir :
“Je ne sais pas ce que vous avez précisément, mais je sais que c’est un problème mécanique, localisé au coude, non traumatique, lié à la pratique intense de votre sport, et en lien avec votre geste technique, aussi je vous propose : …”

Hypothèses cliniques : de “l’étiquette” au tableau clinique

Une démarche d’évaluation est bien plus que simplement coller un diagnostic à un patient. C’est l’idée, au sens large, de recueillir des informations pertinentes pour une prise en charge efficace, adaptée et aux impacts multiples.

Ainsi, en plus de faire des liens entre les “structures” du corps humain (a minima porter attention aux structures sus- et sous-jacentes à la zone symptomatique, par exemple et faire le lien entre atteintes musculaires, articulaires, neurales, vasculaires, centrales) du problème clinique, il est fondamental d’analyser les objectifs de notre patient, ses priorités, l’impact du traitement sur son équilibre de vie, ses conceptions et croyances, sa fonction, ses liens sociaux… Bref, l’envisager dans un paradigme bio-psycho-social dont la classification internationale du fonctionnement donne de solides bases.

La démarche de compréhension claire d’un tableau clinique, dans laquelle nous faisons des liens entre les différentes structures du corps humain – je vous renvoie pour cela à l’étude du “modèle structurel” – nous amène à sortir de la formulation d’hypothèses cliniques simplistes, en transitionnant par exemple de :

“Tendinopathie du sus-épineux”

à

“Tendinopathie du sus-épineux par malpositionnement de la scapula, probablement entraînée par des tensions musculaires excessives de certains muscles inspirateurs accessoires (dentelé antérieur et scalènes) dont la palpation est douloureuse. Une respiration thoracique est constatée, et pourrait être en lien avec une situation de stress au travail.”

Ce qui, d’une simple vision loco-régionale de la prise en charge, poussera à s’intéresser à notre patient de manière beaucoup plus large. La première hypothèse aurait-elle poussé à proposer un travail de respiration abdomino-diaphragmatique, des prises de conscience posturales associées, des étirements des muscles en tension, ou des discussions sur les facteurs extrinsèques comme la pression au travail ?

Ou encore, de :

“Rééducation de fracture radiale”

à :

“Une fracture du radius chez un danseur a entraîné, suite à immobilisation du coude pendant un mois, des raideurs articulaires importantes et des pertes de force musculaire. Mais à cela s’ajoutent des douleurs de type neurologique périphérique sur le territoire du nerf radial, en lien probable avec l’inflammation à proximité du foyer de fracture ainsi que les compensations du port de de l’attelle. Notre patient appréhende également la reprise d’appuis sur son coude, et se plaint de déconditionnement à l’effort important.”
Je pense que beaucoup d’entre nous se reconnaissent dans cette démarche ; dans ce rôle, en tant que kinésithérapeutes, de “détailler” la prescription médicale, de la “développer” et d’en décliner les spécificités propres à chaque patient, pour en adapter la prise en charge.

Pour autant, je pense que nous avons tous à approfondir cette capacité là : sommes-nous au point ? Arrivons-nous suffisamment à mettre en lien les différentes informations qui nous sont données pour proposer une réponse globale à la situation du patient ?
La question est de taille, et concerne notre quotidien… Laissez-moi maintenant vous parler d’une autre trame pour guider notre compréhension.

Le raisonnement clinique : une modélisation

Dans un article de Mai 2012, dans Medical Education, une équipe de l’université de Montréal a souhaité représenter graphiquement le raisonnement clinique en médecine.

Je vous propose d’en parcourir les grandes lignes ; mais la lecture de l’article complet est passionnante et je vous la recommande fortement !

Sur une durée de deux ans, les chercheurs ont mené des entretiens hebdomadaires avec six cliniciens : quatre médecins, un dentiste et un psychologue ; pour mettre en place plusieurs schémas complémentaires modélisant leur raisonnement. Relus ensuite par quinze autres cliniciens pour ajuster, bref… La méthodologie est en référence !

Le schéma proposé est donc le suivant :

Schéma traduit (par mes soins, la traduction est approximative) :

Décryptons-le ensemble, en reprenant les bases :

– Le graphique se lit de gauche à droite, mais l’axe vertical est également important, à lire préférentiellement de bas en haut (je vous remets le schéma annoté un peu plus bas)
– Les rectangles sont des concepts
– Les ovales sont des processus
– Les hexagones sont des régulations, de la métacognition

En lisant progressivement le schéma :

– Les éléments de contexte et le patient nous amènent à nous créer une représentation initiale du problème, et les objectifs de la rencontre. Celle-ci peut être l’évaluation initiale d’une situation de soin, une réévaluation, les suites d’une autre prise en charge médicale, une intervention en prévention ou dans la performance…
– Des informations initiales, le praticien va chercher à obtenir plus d’informations, en faisant évoluer une représentation dynamique du problème ;
– Celle-ci l’amène à mettre en place des actions. Les actions pouvant être des investigations (tests cliniques, imageries, scores, avis de confrères, etc…) ou des traitements
– Les résultats de ces actions sont évaluées, pour, au fur et à mesure, amener une représentation finale du problème
– L’hexagone dans la partie supérieure met en avant que l’ensemble de la rencontre se base sur une relation humaine, où le praticien analyse l’impact des informations reçues, aussi ses propres actions, sur le contexte de vie du patient
– L’ensemble est sous tendu par l’existence de connaissances fondamentales, mais organisées dans une logique de soin

Le praticien organise ses connaissances sous forme de scripts, c’est à dire un ensemble de savoirs associés à une situation clinique : les données épidémiologiques, les critères diagnostics et pronostics, les informations clés à intégrer, les traitements associés, etc…

Il est important de considérer ici un point important : il existe de nombreux niveaux d’intégration du savoir (savoir reconnaître une bonne réponse dans un QCM est différent de la capacité à rédiger ses connaissances de manière organisée, ou encore de les réutiliser en situation pratique), et le praticien a besoin de les sélectionner et de les organiser dans un but de soin. C’est tout le sens de l’approche par compétences mise en avant par la réforme des études de kinésithérapie.

Et voilà ! …Pour les grandes lignes 😉

Les autres schémas détaillés dans l’article apportent également un éclairage important.

“Déterminer les objectifs de la rencontre” nous amène à détailler un peu plus les différentes attentes prises en compte lors de l’entretien avec le patient ;

“Classifier dans un but d’agir” complète et enrichit le raisonnement par hypothèses dont nous parlions grossièrement ci-dessus ;

“Implémenter des actions sensées” nous ramène entre autres à l’idée d’adapter les actions à différents paramètres : état des données scientifiques sur le sujet, attentes du patients, facteurs limitants, etc…

Il est fort probable qu’à peu de choses près, nous fonctionnons tous, praticiens, sur un modèle proche de celui-là. La plupart du temps de manière intuitive, bien sûr, avec une très grande variabilité, et de manière plus ou moins poussée.

Encore une fois, la lecture de l’article complet est recommandée.

A ce moment de la lecture de cet article, j’aimerais que vous fassiez une pause, au moins intellectuellement, avant de passer à la suite.

Les notions précédemment citées sont-elles claires pour vous ?

Avez-vous pu passer un moment à décrypter au moins le schéma principal du raisonnement clinique, et avec vous pu faire des liens avec des situations que vous avez vécu, ou des notions que vous connaissiez déjà ? J’aimerais que vous soyez à l’aise avant de passer à la suite.

Et maintenant ? Comment utiliser cela ? Perspectives :

Ces notions sont théoriques, et peuvent s’envisager comme une trame, comme une cartographie, à utiliser de manière réflexive.

La réflexivité est une notion dont la définition ne fait pas consensus, mais qui exprime la démarche d’analyser sa propre manière de faire, tant ses actions que ses propres cadres conceptuels, dans une volonté de changement.

Que vous cherchiez à vous améliorer globalement, ou à progresser sur des situations cliniques spécifiques, faites un état des lieux !

Que vous manque-t-il ?

Pensez à cliquer sur les bulles de couleur 😉

Est-ce que vous générez suffisamment d'hypothèses cliniques au départ ?

Si non, renseignez vous sur les pathologies les plus probables dans une situation donnée.

Avez-vous des moyens efficaces de discriminer les hypothèses entre elles ? Avez-vous suffisamment de recul sur vos moyens de valider ou invalider vos hypothèses ?

Peut-être que des recherches sur la fiabilité et validité de vos Tests peuvent-être envisagées.

Pensez-vous tirer suffisamment de conclusions des informations issues de l'entretien avec le patient ?

Si non, peut-être qu’affiner les connaissances sur les “scripts” liés aux plaintes du patient, pour optimiser vos tests cliniques… En tirant un maximum de tenants et aboutissants de votre entretien, vous gagnez énormément de temps et de clarté lors de l’examen clinique.

Pensez-vous faire suffisamment de liens entre les différentes structures de votre patient, et les impacts sur les fonctions et activités dans son quotidien et ses objectifs ?

Peut-être qu’approfondir votre compréhension de la CIF ou des lectures de cas cliniques pourront vous inspirer…

Lorsque vous intégrez de nouvelles informations, arrivez-vous à les connecter à des informations déjà existantes, qui ont du sens, au sein de scripts de pathologies ?

Arrivez-vous à en faire du savoir “vivant” et mobilisable en situation clinique, ou restent-elles de vagues notions théoriques ou des fun facts ? Si non, que vous manque-t-il ?

Lors des rencontres avec vos patients, arrivez-vous à être vigilants à l'ensemble des facteurs humains, et à l'impact que votre discours et vos investigations vont avoir sur le patient, dans l'ensemble de ses dimensions ?

🙂

...Et pour aller plus loin... Est-ce que ce schéma de raisonnement clinique pourrait vous permettre de mieux échanger avec d'autres professionnels ?

En clarifiant pour vous-mêmes vos propres demandes ce schéma ne vous permettra-t-il pas de co-construire votre raisonnement avec d’autres soignants (infirmiers, podologues, médecins…) ?

...Et dans certaines situations, ne serait-il pas pertinent de renverser la logique, et de co-construire le raisonnement clinique avec votre patient ?

A vous de voir !

Quelles implications pour Kobus ?

Je ne suis pas de l’équipe Kobus, mais à mon sens, à travers la grande diversité de raisonnements mais suivant cette trame globale, l’enjeu pour Kobus est de proposer un outil à la fois flexible et structuré.

Un outil qui, en plus des nombreux avantages inhérents à la rédaction du bilan, pourrait pousser les professionnels à entrer dans une logique d’auto-amélioration continue. En indiquant au praticien, lors de la réalisation de son bilan, des petites “pistes” de domaines à explorer (de nouveaux tests, de nouvelles informations…) ; en structurant la trame globale de ses réflexions pour y voir plus clair…

Mais aussi en lui donnant la liberté d’expérimenter de nouveaux modes de réflexion ; en sachant s’adapter à des pratiques très variées…

Ou encore en guidant les professionnels dans des choix de tests validés et en les renseignant sur les éventuelles valeurs métrologiques associées aux tests, si disponibles…

Bref, de nombreuses perspectives mais qui sauront s’appuyer, j’espère, sur les travaux de qualités effectués par les ressources indiquées dans cet article.

Un outil d’auto-formation adapté à chaque professionnel, pour l’aider dans un développement continu… Ultra-personnalisé 😉

Conclusion

Nous venons ici d’effectuer une vue très globale du raisonnement clinique en sciences de la santé. Je vous invite à lire plus d’informations sur le sujet, réfléchir posément, discuter avec vos pairs, et revenir régulièrement à des réflexions globales comme celle essayée dans cet article. Pour faire un point, pour prendre du recul.

Encore, une fois, cet article n’a de sens que dans une logique réflexive, et, à mon sens, personne ne vous fera mieux évoluer dans votre métier, que… Vous même.

De la même manière que nous cherchons à rendre nos patients acteurs de leur prise en charge, cessons d’attendre des formations qu’elles nous inculquent un savoir “prêt à porter” ; et rentrons dans une logique active dans notre propre développement professionnel.

Peut-être vous retrouverez-vous dans la trame ci-dessus, peut-être pas ; toujours est-il qu’à mon sens, il est temps de rentrer dans une logique d’auto-management de votre propre développement professionnel, en sachant où vous êtes, comment vous procédez actuellement, et où vous voulez aller ensuite.
Votre efficacité n’en sera que décuplée.

Un MOOC sur le raisonnement clinique https://mooc-francophone.com/cours/mooc-processus-de-raisonnement-clinique/ est à venir sous peu ; je le suivrai en espérant approfondir ce domaine là, et serai enchanté de partager cette aventure avec vous si vous le souhaitez 😉

Et parce qu’on ne le répètera jamais assez, reformulons une dernière fois l’idée générale de cet article :

A défaut de tout savoir, avoir une “cartographie” de votre propre manière de faire, de vos forces et de vos lacunes, permet de cibler en conscience là où vous souhaitez vous améliorer, et donc évoluer plus efficacement.

Have fun 😉

Raphaël Grellet

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Références :

Mooc sur le raisonnement clinique : https://mooc-francophone.com/cours/mooc-processus-de-raisonnement-clinique/

Comment (mieux) former et évaluer les étudiants en médecine et en sciences de la santé ? – Sous la direction de Thierry Pellacia https://www.amazon.fr/Comment-%C3%A9valuer-%C3%A9tudiants-m%C3%A9decine-sciences/dp/280419423X/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1493057199&sr=1-1&keywords=comment+former+et+%C3%A9valuer+les+%C3%A9tudiants+en+m%C3%A9decine+et+en+sciences+de+la+sant%C3%A9

Référentiel d’activités du kinésithérapeute, en annexe : http://medecine-pharmacie.univ-fcomte.fr/download/ufr-smp/document/metiers-de-la-reeducation/annexes-de-kine.pdf

Clinical reasoning process : unravelling complexity through graphical représentation https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22515753

Une approche de l’évaluation clinique basée sur les preuves scientifiques : “Examen clinique de l’appareil locomoteur” : https://www.amazon.fr/Examen-clinique-lappareil-locomoteur-%C3%A9valuations/dp/229471427X

Othopaedic manual therapy : an evidence-based approach : https://www.amazon.com/Orthopedic-Manual-Therapy-Evidence-Based-Approach/dp/0131717669

CIF : http://apps.who.int/iris/handle/10665/42418 et le site de l’ehsep : http://mssh.ehesp.fr/international/centre-collaborateur-oms/la-classification-internationale-du-fonctionnement-cif/

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