Guillaume Deville est un kiné plein de ressources et de projets. On a voulu le rencontrer en savoir plus sur sa vision de la kiné et de la formation ! Parce que chez Kobus, on adore les gens motivés plein d’ambitions pour leur profession (c’est notre philosophie avec l’application Kobus App!)
Bonjour Guillaume, peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je suis diplômé de l’IFMK de Bordeaux en 2005. J’ai commencé par travailler à temps plein dans un club de foot professionnel. Actuellement, j’exerce à Angoulême et je consacre ma pratique aux patients porteurs de pathologies musculo-squelettiques.
Je suis également un des co-fondateurs de l’Agence EBP . Et j’ai récemment créé l’Evidence Based Physio Podcast. C’est le tout premier podcast francophone qui discute des données de la science en physiothérapie.
Rapidement après mon début d’activité en libéral, je me suis engagé dans le cursus McKenzie. J’ai été frappé par le nombre de patients qui pouvaient améliorer leur présentation clinique par des exercices du rachis cervical, alors qu’ils consultaient pour une plainte d’épaule. Ça m’a motivé à me lancer dans une étude sur le sujet. Après la présentation d’une première étude pilote réalisée au cabinet, l’Association Française McKenzie m’a soutenu pour concevoir et conduire une étude multi-centrique : 18 confrères à travers le pays ont participé pour collecter des données, et j’ai pu présenter les résultats lors des JFK à Lille en 2015.
Malheureusement je n’avais pas suffisamment de connaissances dans le domaine de la recherche. J’avais suivi des MOOCs sur les statistiques et la méthodologie de recherche, et j’ai pu mettre en place un protocole qui tenait la route. Mais il me manquait certaines notions, comme la nécessité de soumettre mon protocole à un comité d’éthique avant de débuter. C’est la raison qui m’a empêché de publier aujourd’hui.
Pour ne pas commettre ce genre d’erreur dans le futur, je fais un Master « Physiotherapy and Education » avec l’Université de Brighton en Angleterre, depuis quelques mois.
Tu considères que les kinés devraient tous être formés à la recherche ?
Nous observons des changements positifs ces dernières années dans notre pays, notamment avec la récente possibilité pour un kiné de soumettre un projet de recherche (sans être chapeauté par un médecin).Pour moi, tous les kinés doivent disposer des connaissances suffisantes pour juger de la qualité et des limitations d’un article. Par contre, nous n’avons pas tous besoin d’être des chercheurs.
Le problème c’est qu’il y a trop de parutions. C’est juste illusoire d’espérer tout suivre, même avec les meilleures intentions du monde ! Surtout qu’en France, à l’opposé de l’Angleterre par exemple, les kinés ne sont pas souvent spécialisés. Se tenir informé des avancées de la recherche dans tous les domaines de notre champ de compétence, c’est simplement impossible.
Dans un article publié en février 2017, Djulbegovic et Guyatt (le 1er à avoir employé l’expression : Evidence Based Medecine, en 1991) proposent une mise à jour du concept de médecine fondée sur les preuves. Ils mettent en avant la nécessité pour les cliniciens de disposer de guides de recommandations. Ils évoquent notamment les travaux de Haynes and co. (2006). En utilisant un processus d’évaluation critique pour sélectionner la littérature publiée régulièrement, les auteurs ont déterminé qu’il y avait environ 20 articles suffisamment bons qu’un clinicien doit lire chaque année pour rester à jour dans son domaine d’expertise. Ce chiffre semble raisonnable, mais il faut savoir comment sélectionner les articles de qualité, et aussi trouver le temps de le faire !
Le problème c’est qu’il y a trop de parutions. C’est juste illusoire d’espérer tout suivre, même avec les meilleures intentions du monde
Je pense que cette sélection doit se faire par des personnes qui ne seront pas influencées par leurs croyances et leurs pratiques. Le biais cognitif est impossible à mettre de côté. Nous avons besoin de méthodologistes pour évaluer la qualité des articles, effectuer un premier tri, et nous pointer les différentes limitations des meilleurs articles pour que chacun puisse interpréter les données proposées. Chaque clinicien pourra utiliser son expérience clinique pour adapter ses connaissances aux caractéristiques et aux valeurs propres à chaque patient qui le consulte.Cette sélection ne peut pas se faire par des kinés sur leur temps libre. Il faut des personnes dont c’est le métier et qui soient rémunérées pour ce travail.
À différents niveaux, nous devons faire appel à des personnes formées pour accomplir certaines tâches, des professionnels qualifiés, et ne pas supposer que nous sommes capables de tout faire simplement car nous avons un DE de kiné. Tant que ce changement n’aura pas lieu, nous ne pourrons pas promouvoir notre profession de façon optimale.
Ça passe par la formation ?
Oui, la formation continue doit évoluer : encore beaucoup de cours proposés basent leurs recommandations sur des avis d’experts. Le risque est de diffuser des croyances et non les preuves disponibles sur le sujet abordé… Attention, je ne dis pas qu’il faut pratiquer que ce qui a été étudié ! Si on fait ce choix, On n’avance plus et on tue toute créativité ! En revanche, il serait déjà bien de ne plus enseigner les modalités qui ont montré leur inefficacité…
Beaucoup de cours proposés basent leurs recommandations sur des avis d’experts. Le risque est de diffuser des croyances et non les preuves disponibles sur le sujet abordé…
Malheureusement, il semblerait que seulement 17% des kinés en activité se forment (Source à vérifier). Si c’est bien le cas et que ce chiffre n’augmente pas, on ne peut pas compter seulement sur la formation continue pour tout changer. Je ne connais pas très bien le contenu de l’enseignement actuel dans les IFMK. Historiquement, le temps consacré à l’éducation du patient était… ridicule… Je pense que les écoles en prennent conscience. Globalement, la science sur notre métier nous dit que les traitements qui améliorent l’état des patients (plus que si on ne leur propose rien), contiennent de l’éducation et des exercices. Je suis convaincu que nous devons consacrer nos ressources et notre réflexion à ces deux points.
Alors comment faire ?
Je pense qu’il faut accompagner les confrères qui valorisent notre profession. Je pense à ceux qui aident le mieux leurs patients et qui font faire des économies à la société.
J’ai échangé récemment avec un représentant de la CPAM. Ils ont une banque de données incroyable, mais ils ne l’exploitent pas. Je lui ai demandé pourquoi ils n’identifiaient pas les confrères qui ont le meilleur rapport coût-efficacité. Par exemple, une combinaison entre ceux qui font le moins de séances, et ceux dont les patients diminuent leur consommation de médicaments, de consultations et de soins à la suite de leur prise en charge. Apparemment la sécu aurait les moyens de le faire, mais pour le moment ils ne se préoccupent pas d’analyser les chiffres dont ils disposent. Peut-être d’ici 10 ou 15 ans m’a-t-on répondu…Je sais que certains vont hurler en lisant cette idée car il est souvent avancé notre obligation de moyens, et pas notre obligation de résultats. Pour répondre à cette remarque que certains brandissent pour que rien ne change, je propose qu’on commence par reconnaître que notre obligation de moyen consiste à passer 30min avec notre patient pour chaque consultation.
Une combinaison entre [les kinés] qui font le moins de séances, et ceux dont les patients diminuent leur consommation de médicaments, de consultations et de soins à la suite de leur prise en charge.
D’autre part, pour les kinés qui considèrent avoir des résultats intéressants dans un domaine précis avec leurs patients, pourquoi ne pas mettre à disposition une équipe de personnes qui les aideraient à analyser leurs résultats de manière rigoureuse ? Nous devons rester créatifs comme je le disais tout à l’heure. Si des confrères ont une pratique efficace pour les patients, et qui réduisent les coûts de santé, et si certains développent des stratégies efficaces, il faut le prouver et ensuite le diffuser et l’enseigner. Plus nous serons efficaces, plus notre profession sera reconnue et valorisée ! Aujourd’hui, le vrai problème c’est que celui qui donne de son temps pour faire avancer la kiné et la recherche perd de l’argent ou bien n’a pas de vie personnelle.
Donc il faut revaloriser les actes en kiné ?
Oui, sur le principe, je suis d’accord et j’ai envie qu’on revalorise nos actes mais pour cela, il faut que tous les kinés prennent bien en charge leurs patients. Je redis que notre devoir de moyen est de passer 30 minutes avec chaque patient. A mon sens, si on demande une revalorisation, il faut respecter cet engagement et accepter d’être contrôlé dessus. C’est facile de passer dans un cabinet et de regarder les agendas des praticiens.
C’est bien beau de demander plus d’argent, mais à un moment il faudra qu’on prouve notre efficacité
Si on augmente les tarifs et que les praticiens qui prennent beaucoup de patients en même temps en bénéficient aussi, ça ne m’intéresse pas… ça ne changera pas la donne. Et ensuite, c’est bien beau de demander plus d’argent, mais à un moment il faudra qu’on prouve notre efficacité. D’où l’importance de la recherche et la nécessité de savoir comment conduire les projets de recherche, ainsi que de connaître et développer les moyens de la financer !
Une kiné revalorisée c’est aussi une kiné avec l’accès direct ?
L’idée de l’accès direct me plait; c’est important pour l’avenir. Mais il faut s’assurer que nous sommes prêts pour ça. L’accès direct, c’est une grande responsabilité et je ne suis pas sûr que tout le monde en ait envie. On oublie assez vite la disparité de notre profession. On oublie que les gens de ma génération et celle d’avant n’ont pas été formés à la notion des drapeaux rouges par exemple (ces “red flags” qui permettent de dépister des pathologies sinistres qui demandent de réorienter les patients et de ne pas les traiter en kiné). Et même si les connaissances aujourd’hui se diffusent plus vite grâce aux réseaux sociaux, il faut s’assurer que les praticiens connaissent les implications d’un point de vue médico-légal, et qu’ils disposent des connaissances adaptées. Encore une fois, ce n’est pas parce qu’on a un DE de kiné qu’on a toutes les compétences pour accueillir un patient en première intention.
En Angleterre, certains physiothérapeutes ont des prérogatives qui me font rêver ! Ils ont l’accès direct, prescrivent des médicaments, des examens d’imagerie, infiltrent. Mais ils doivent suivre une formation pour pouvoir faire tout cela. Aujourd’hui, d’un point de vue pratique clinique réelle, dans ma vraie vie de kiné libéral, je me dis que de toute manière j’ai 4 à 6 semaines d’attente pour pouvoir proposer un rendez-vous. Donc le patient accèdera à son médecin plus rapidement qu’à moi. D’un autre côté, si l’accès direct peut permettre d’avoir des patients qui viennent avant de passer une imagerie, ce serait sans doute bien pour tout le monde.
L’accès direct, c’est une grande responsabilité et je ne suis pas sûr que tout le monde en ait envie
Je vais prendre l’exemple d’un patient qui vient me voir avec une douleur d’épaule. On analyse ensemble ses difficultés, on discute de comment adapter temporairement ce qu’il fait au quotidien. Il fait des exercices appropriés. Au bout du compte il n’a plus mal, reprend ses activités et passe à autre chose. Et bien c’est très différent du patient qui vient avec une rupture de coiffe identifiée à l’imagerie, qui passe par les mêmes étapes, mais qui, une fois qu’il va mieux, a toujours un tendon déchiré et finit par se faire opérer car on lui a dit que s’il reste sans opération, un jour il ne pourra plus utiliser son bras. La science sur le sujet a bien établi que c’était faux. Mais une fois que le patient sait qu’il a un tendon rompu, il ne sera jamais guéri, tant que son tendon n’aura pas été réparé. Et ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres en pratique musculo-squelettique. Donc l’accès direct oui, l’idée me plaît, mais sous certaines conditions.
Et les nouveaux outils digitaux/ informatiques, ça représente une opportunité pour cette kiné en pleine mutation ?
Oui pour certaines choses mais il faut faire attention à la standardisation à l’excès. Pour la science et la recherche, c’est sûr que c’est super d’avoir par exemple des fiches bilans standardisées. Et que tout le monde coche les mêmes cases. Mais ensuite pour les kinés, il faut qu’ils puissent se les réapproprier ! Et il faut bien admettre qu’aucune fiche bilan ne pourra couvrir l’ensemble de la complexité de tous les patients qui se présentent.
Il suffit peut-être de laisser des zones libres pour saisir du texte. (C’est pour ça que les bilans sur Kobus sont personnalisables pour chaque kiné mais aussi pour chaque patient : https://goo.gl/P3sV1Y 😉 ). Mais après, l’utilisation de ces fiches pour la recherche comme des grosses bases de données devient limitée… Après, je pense que le numérique peut être un atout dans la prise en charge de nos patients. Je suis très intéressé par la prescription d’exercices : notamment en filmant le patient pendant qu’il fait l’exercice; pour qu’il puisse le re-visionner de chez lui. Mais aussi par l’idée d’un carnet de bord informatique où le patient peut suivre son évolution, notamment grâce à des questionnaires.
C’est pour ça que les bilans sur Kobus sont personnalisables pour chaque kiné mais aussi pour chaque patient : https://goo.gl/P3sV1Y 😉
Cela permet de motiver le patient qui constate son amélioration ! Ou au contraire, si la situation n’évolue pas, cela permet au kiné de le constater plus facilement et de modifier son traitement en conséquence. (chouette, c’est possible sur kobus : https://goo.gl/P3sV1Y) Et je suis sûr qu’il existe encore beaucoup d’autres façons intéressantes d’utiliser les outils informatiques !
Merci Guillaume d’avoir partagé ta vision avec autant de franchise et de pragmatisme ! On sait que tu fais partie des gens qui œuvrent beaucoup pour faire évoluer la kiné, cette profession que tu aimes tant et on te souhaite plein de réussite dans tous tes projets 🙂