Interview de Marie Heulin, kiné du sport au vietnam, par Benoit Sibileau

Bonjour Marie est-ce que tu peux te présenter ? Nous dire pourquoi tu as choisi ce métier, ton parcours ?

Je m’appelle Marie Heulin, je suis diplômée depuis 2013, j’ai fait ce métier car j’étais passionnée de sport. J’ai travaillé dans différents cabinets du sport et maintenant je suis kiné du sport au Vietnam, à Hanoï, au sein d’une académie de football. Et, on y a ouvert un centre de rééducation où on s’occupe des joueurs de l’académie et des joueurs professionnels.

L’académie comprend des joueurs de quel âge à quel âge ?

On s’occupe des joueurs de U11 à U19, des joueurs professionnels, l’équivalent Ligue 2 et Ligue 1, mais aussi des joueurs de l’équipe nationale.
Initialement, on est venu pour l’académie et devant l’absence de structures médicales au Vietnam, ce centre est devenu le centre de référence aujourd’hui.

L’équipe est constituée de combien de professionnels de santé ?

Au début il y avait un médecin et deux kinésithérapeutes puis, au fur à mesure, il y a eu d’autres kinés, quatre étrangers et trois Vietnamiens. Il y avait aussi un podologue qui venait en faisant des allers-retours les premières années, et des chirurgiens orthopédistes vietnamiens formés à Bordeaux ou Paris. Il y a un réseau à développer ici.
De façon générale, la traumatologie du sport est très peu développée au Vietnam.

Tu avais suivi des formations ?

Ma première année post-diplôme non, je voulais voir avec ce que j’avais appris durant mes années de formation initiale. Ensuite, je me suis formée en kinésithérapie du sport et d’autres petites formations complémentaires les week-ends. Puis, je trouvais qu’il me manquait des éléments de préparation physique; comme je suis orientée basket initialement, j’ai choisi mes formations en fonction de cet axe.

La formation de préparateur physique te sert au Vietnam ?

Bien sûr, même si on est organisé avec un pôle médical et un pôle performance comprenant des préparateurs physiques, cette formation m’a aidée à mieux gérer le retour de blessure en maîtrisant la partie réathlétisation jusqu’au retour terrain avec les matchs dans la foulée.

Précise ce que tu appelles le retour terrain

On accompagne le joueur lors de la reprise des entraînements. S’il y a des parties qu’il ne peut pas faire, il revient en cellule de réathlétisation pour développer ce dont il a besoin (pliométrie, capacités aérobies…) en collaboration avec le pôle performance qui ne s’occupe pas de cette partie de réathlétisation.

Ce qui t’a le plus apporté dans ton parcours, ce sont : tes expériences précédentes, ton master en préparation physique, d’autres formations, des lectures ?

C’est un tout, la formation kinésport m’a vraiment aidée, le master aussi, tout comme mes lectures et recherches personnelles. Et toutes mes rencontres m’ont appris pas mal de choses sur la partie kinésithérapeute du sport.

Et il me semble que tu es assez sportive. Est-ce que cette partie est importante pour toi et t’aide dans ta pratique quotidienne ?

Cela m’aide dans la compréhension des choses, notamment sur l’abord des exercices, et à mieux appréhender les exigences du monde du sport et le management du sportif.

La pratique à l’académie

L’académie cela représente combien de joueurs ?

Alors là, sur les jeunes 160 joueurs, l’équipe pro 24 et sur les joueurs de l’équipe nationale il y a une quinzaine de joueurs qui font appel à nous.

En fonction des saisons on se répartit les équipes. On est toujours deux afin d’avoir de l’aide en cas de besoin.

Par exemple ceux que je connais le mieux ce sont les U12 U18. Mais cette année j’ai été affiliée aux U17 et je connais très bien ces joueurs maintenant. Cela fait 25 joueurs, et en plus de ça, trois joueurs externes dont j’ai la charge.

Qu’est-ce que vous utilisez pour suivre les joueurs, leurs bilans, leurs évaluations ? Est-ce que vous faites ça sur un word ou vous utilisez une application dédiée comme Kobus ?

Au début on s’est posé la question, mais on n’a pas trouvé quelque chose permettant le dialogue entre tous les intervenants.

Aujourd’hui, on utilise une plate-forme en ligne AMS, c’est de la collecte de données, mais il n’y a pas de bilans et ce n’est pas aussi précis que Kobus. Comme j’avais travaillé avec Kobus c’est vraiment différent, on utilise AMS car c’est basé sur ce qui se fait pour le suivi en Europe et cela permet d’avoir des comparatifs notamment par rapport à ce que fait Aspetar. Et on discute via un fichier Excel avec le médecin, dans lequel on met des imageries et un message par exemple.

Les blessures les plus fréquentes ?

Cheville plutôt en médial de manière surprenante, et beaucoup de croisés.

Marrant que ce soit le plan interne

Peut-être car ce ne sont pas les mêmes morphologies, on travaille sur ça pour comprendre.

Les actes les plus fréquents ? TM, massage, strass ?

On leur a dit de ne pas strapper, en tout cas le moins possible. Ce qu’on fait c’est surtout de la TM sur les pathos du sport et pour la récup on a pas mal d’outils pour ça, et on réserve le massage de récup aux pros.

Pour la récup vous avez peut-être mis d’autres choses en place ?

Oui on a des bains, et c’est vraiment le service de performance qui gère ça.

Vos journées sont intenses ? Quels sont vos horaires par exemple ?

On a des horaires intéressants. On commence à 9h et on finit à 18h max, ce qui fait que j’ai pu prendre des cours d’anglais.
En académie les joueurs sont en cours le matin, ils rentrent soit vers 12h soit vers 16h. Donc, pendant ce temps on peut faire la planification pour la semaine du travail personnel et prendre en charge les joueurs extérieurs.
On assure la rééducation de 9h à 18h, du lundi au vendredi.
Puis, le samedi matin il y a match soit à l’extérieur soit à l’académie. Ce qui est normal dans le monde du sport il faut s’attendre à ce que le samedi soit dédié à l’équipe.
Mais cela reste des horaires très agréables afin d’avoir du temps pour prendre les gens en charge, pour s’organiser.

À quel point y a-t-il une pression de résultat ?

Alors, il faut savoir que les compétitions au Vietnam sont très courtes. Les joueurs sont revenus en septembre, la compétition démarre en mai et dure sur un mois, un mois et demi. On peut ressentir la pression des coachs à ce moment-là, dès que l’échéance approche pour les joueurs blessés.
Pour les joueurs pros, on peut avoir la pression soit du sélectionneur, soit du club. Après ils se permettent moins de choses avec les kinésithérapeutes étrangers qu’avec les kinésithérapeutes vietnamiens. On a plus de répondant et une légitimité différente au vu de la construction de l’académie.

La vie au Vietnam

Quelles spécificités as-tu trouvé à exercer au Vietnam ? Est-ce que tu t’es mise au Vietnamien ?

C’est pas évident ! L’anglais c’est mieux !

À part la langue est ce qu’il y a des éléments de la culture, du pays qui t’ont frappée ?

J’ai eu la chance de partir avec mon compagnon Adrien, cela a facilité notre intégration.
Il y a beaucoup d’avantages, notamment, il n’y a pas de covid au Vietnam.

La vie au Vietnam et découvrir le pays ?

C’est très chouette mais ça l’était encore plus il y a 2 – 3 ans aux débuts de l’académie où il y avait pas mal de moyens. J’ai pu aller plusieurs fois en Corée, en Chine qui est un pays fabuleux, Japon, Thaïlande, cela nous a ouvert pas mal d’opportunités pour découvrir d’autres cultures.

Découvrir toute l’Asie en fait

Oui découvrir l’Asie c’est génial, et travailler avec les Vietnamiens c’est une super opportunité d’apprendre et d’échanger.

Et la cuisine asiatique, tiens, c’est quoi ton plat préféré au Vietnam ?

Alors pas le bobun il n’y a pas ça au Vietnam mais il y a plein de plats ! La gastronomie vietnamienne est incroyable. Et on trouve toute la nourriture française que l’on veut ici, on a même notre petite crêperie !

Ça, c’est ton côté Breton !

Oui j’avoue.

Est-ce qu’il y a un plat qui te manque ? Celui qui te ferait rentrer en France !?

Un plateau de fromage, car même s’il y en a ici c’est n’est pas pareil quand même.

Saisir les opportunités

Qu’est-ce que tu dirais aux jeunes diplômés qui voudraient exercer dans le milieu du sport et auprès du monde sportif ?

Il faut toujours se former, il est difficile d’avoir des opportunités dans ce milieu mais il faut s’accrocher. Dès qu’il y en a une il ne faut pas hésiter à la prendre, moi qui viens du monde du basket, travailler dans le foot ce n’était pas forcément ce qui me faisait rêver. Mais c’est vraiment une expérience incroyable ! Alors que c’est un pays qui ne m’attirait pas forcément, un sport qui ne m’intéressait pas forcément, je ne regrette pas du tout.

Donc se former et saisir l’opportunité !

Oui, car en fait quand on cherchait des gens pour venir au Vietnam, toutes les personnes qui étaient envieuses au début ont fini par décliner et trouver des excuses. Il faut vraiment y aller et saisir sa chance si les conditions sont réunies.

Tu dis qu’il faut se former et saisir sa chance, je dirais qu’il faut la déclencher cette chance !

Oui mais ce n’est pas évident. J’ai cherché longtemps un poste dans le basket et je n’ai pas trouvé, mais j’ai saisi cette opportunité et j’en suis ravie.

Est-ce que tu dirais qu’il faut s’occuper d’une équipe, amateur ou tout ce qui est possible, afin de se rapprocher du terrain ?

C’est une bonne façon de faire, la difficulté de ça, c’est de pouvoir être rémunéré pour ne pas tomber dans le bénévolat trop longtemps.

Tu avais monté une structure nommée PtoP avec Adrien ?

Effectivement, on a monté une structure avec des tests de présaison, mi-saison. On évalue les différents points articulaires, musculaires et fonctionnels. C’est ce que l’on faisait avant et c’est ce que l’on va continuer à développer.

C’est ce que j’appelle provoquer un peu la chance, car vous étiez déjà dans une démarche de recherche d’équilibre entre qualité dans le sport, pouvoir être rémunéré, vous aviez déjà compris les enjeux, c’est ça provoquer sa chance !

Ce n’est pas évident il faut démarcher, essayer de se vendre, il faut trouver le juste milieu.

Quand on y arrive on se retrouve au Vietnam dans une super académie avec plein de conditions plutôt cool donc bravo ! Retour en France ?

On va voir pour revenir en France, j’attends de trouver un club je ne suis pas pressée. Il y a le Covid qui est un paramètre aussi.

En rentrant tu pourras réutiliser Kobus !

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