Neuropathie : L’évaluer en pratique
partie 3
Par Bryan Littré, MKDE, passionné par les atteintes nerveuses périphériques
Bonjour, je me présente, Bryan LITTRE MKDE diplômé du CEERRF de Saint-Denis. Depuis mon diplôme, j’ai suivi beaucoup de formations dans le champ musculo-squelettique où j’ai découvert les atteintes nerveuses périphériques (névralgies cervico brachiales, sciatalgies, radiculopathies …) pour lesquelles j’ai un attrait particulier.
Préambule : Tous les tests présentés se doivent d’être réalisés en bilatéral comparatif, afin d’éliminer les faux négatifs. Tous les tests décrits dans cet article sont à combiner avec ceux des précédents articles. Ils évaluent chacun un type de fibre nerveuse. Après une rapide description des tests, nous allons explorer comment les réaliser ou les interpréter au cabinet.
Les fibres non myélinisées et les fibres peu myélinisées de petits calibres (fibres Aδ et C)
L’évaluation des fibres non myélinisées a longtemps été négligée depuis la découverte de l’ENMG (électroneuromyogramme). En effet, nous avons longtemps pensé que l’ENMG évaluait la fonction de toutes les fibres nerveuses alors qu’elle n’évalue que celle des fibres myélinisées de gros calibre, en excluant les autres fibres. Les fonctions de ces fibres sont représentées majoritairement par la sensibilité thermique et la nociception.
Au fil des années, s’est posée la question des meilleurs tests pouvant évaluer les fibres négligées par l’examen neurologique. La biopsie de la peau a été la réponse adéquate et est désormais le test de référence dans le diagnostic de neuropathies des petites fibres nerveuses.
La nociception
La première fonction que nous pouvons évaluer est la nociception, grâce au « pinprick » ou neurotip. Les ratios de vraisemblance sont de : RV + 13.5/RV- 0.5 La positivité du test est définie comme une diminution des sensations dans la reconnaissance du stimuli, comparativement au côté sain. Le test de référence était une biopsie de peau (Ridelhagh et al 2017 (45)). Ce test est très utile dans l’aide au diagnostic et l’inclusion de neuropathie.
La sensibilité thermique
La seconde est le seuil de détection de chaleur : « warm detection threshold ». La positivité du test est définie comme l’incapacité ou la difficulté du patient, à détecter des changements de température plus élevée que la température de sa peau, comparativement au côté sain. Voici les ratios de vraisemblance concernant ce test RV + 5.93/RV – 0.13
Le Tip therm peut être utilisé. Le test de référence était une biopsie de peau. Ce test est très utile dans l’aide au diagnostic de neuropathie.
La dernière est la douleur liée au froid « cold sensation/ cold pain perception ». La positivité du test est décrite comme une douleur présente lors de la stimulation par un objet froid. Une pièce de monnaie ou le manche du diapason peut faire l’affaire. Voici les ratios de vraisemblance concernant ce test RV+ ∞/RV – 0.91. Le test de référence était une biopsie de peau. Ce test est très utile dans l’aide au diagnostic et l’inclusion de neuropathie, ici du syndrome du canal carpien. Un test négatif ne nous indique pas que l’on ne retrouve pas de neuropathie chez le patient testé.
La mécanosensibilité
La mécanosensibilité est transmise par un système interne nerveux propre au nerf. C’est le Nervi nervorum, système de « protection du système nerveux ». Ces fibres nerveuses sont chimio et mécano sensibles. Ce qui fait que les tests neurodynamiques (ULNT, SLUMP, SLR, PKB) sont des tests pouvant mettre en évidence que cette mécanosensibilité participe à l’élaboration et à la création des douleurs du patient. Le nervi Nervorum est composé de Fibres C nociceptives.
Les tests neurodynamiques ne seront pas développés ici car ils feront partie de mes présentations durant les JFK 2019. Si vous voulez donc en apprendre plus sur ces tests, ou les neuropathies, je vous invite à venir le vendredi 15 février. La première intervention sera à 15h15 avec OMT France et la seconde à 16h15 avec le GI Douleur.
Récapitulatifs des voies neurologiques somatiques testées
La voie motrice pyramidale est appelée ainsi car elle décusse dans la pyramide bulbaire. Cette voie est centrifuge. La fonction de cette voie neurologique est analysée en partie par le testing (2nd Motoneurone Aα). Les tests neurologiques comme le Babinski, le clonus, le test de Hoffman analysent le 1er Motoneurone Aα.
La voie sensitive lemniscale est appelée ainsi car elle décusse au niveau du lemnisque médian. Les fibres nerveuses testées sont les fibres Aβ et cette voie est centripète.
La voie sensitive extra lemniscale est appelée ainsi car elle décusse dans la moelle. Les fibres nerveuses testées sont les fibres Aδ et C, cette voie est centripète.
Retrouvez tous les articles de la série dans ce e-book à télécharger !
Douleur neuropathique, questionnaire et qualité de vie
Certains questionnaires existent afin de discriminer si le patient est atteint de douleurs neuropathiques ou non. Il est estimé qu’entre 6.9 % et 10 % des patients présentant des douleurs, ont une composante neuropathique (NePC ou neuropathic pain component)
En effet un point important à intégrer : nous pouvons avoir une neuropathie sans « douleur à composante neuropathique », ainsi que décrire une douleur à composante neuropathique, sans mettre en évidence une lésion du système nerveux périphérique. Il peut y avoir des modifications biochimiques non visibles à l’IRM. Ces notions sont subtiles, mais essentielles.
Une autre notion subtile expliquée il y a quelques semaines, une atteinte nerveuse périphérique peut irradier en dehors du dermatome décrit dans la littérature, ce qui fait que nous ne pouvons incriminer une racine nerveuse, un tronc nerveux uniquement lié à l’étendue des symptômes. Cependant si la distribution des zones symptomatiques suit un trajet précis et que ce trajet se rapproche d’un dermatome, alors la probabilité que ce patient ait une atteinte nerveuse périphérique est augmentée.
Qu’est ce que cela m’apporte de savoir identifier ou non une composante neuropathique de la douleur chez mon patient ?
Cela peut m’apporter une meilleure connaissance des mécanismes mis en jeu dans l’élaboration du message douloureux de nos patients. Nous savons de nos jours que suite à une lésion du tissu nerveux, une modification biochimique s’opère sur site, au niveau médullaire et central. De plus nous retrouvons une sensibilisation périphérique et centrale préférentiellement dans la population atteinte de neuropathie.
Nous savons également que les facteurs psychosociaux ainsi que des facteurs de comorbidités sont plus présents au sein de cette population. La qualité de vie parmi ces patients est moins bonne que chez une population n’ayant pas de composante neuropathique décrite.
Cela peut changer 2 choses dans la pratique en cabinet ou en établissement hospitalier.
La première est que les thérapies cognitivocomportementales doivent accompagner le traitement kinésithérapique. Pour que le patient comprenne au mieux ce qu’il lui arrive, qu’il puisse mieux gérer ses troubles au quotidien sans être dans une situation de doute ou dans laquelle il n’a pas de réponse à ses questions, il n’a pas de “label” sur sa perception.
La deuxième chose est que selon le phénotype de mon patient, le traitement médicamenteux qui suivra devra être différent. De nos jours nous savons que des sous-groupes de patients présentant des composantes neuropathiques de leurs douleurs répondent mieux à certaines molécules qu’à d’autres. C’est pour cela que si nous identifions une composante neuropathique de la douleur chez les patients, il est préférable d’utiliser tous les tests neurologiques et de notifier si nous nous trouvons face à une réponse normale, une diminution/perte de fonction (hypoesthésie, manque de force…) ou une augmentation/gain de fonction (hyperalgésie, allodynie, douleur à la chaleur ou au froid…). Parmi ces trois groupes, chacun répond mieux à un traitement médicamenteux que l’autre.
N’attendez pas que le médecin traitant fasse ces observations car il ne les fera sûrement pas, cela vous permettra de réfléchir à un traitement optimum en multidisciplinarité pour le bien-être du patient.
Il est essentiel également d’explorer l’historique médical du patient afin d’essayer de déterminer si la neuropathie est primaire ou secondaire à une pathologie sous-jacente (HIV, Herpes, Diabete, carence vitamine B6-B12, mutation génétique codant pour les canaux ioniques sodiques, cancer, iatrogène médicamenteuse, troubles de la thyroïde…)
En résumé, mieux identifier dans quel phénotype douloureux se trouve mon patient, va permettre d’optimiser la demande de soin et créer une valeur ajoutée aux actes médicaux prescrits car ceux si vont permettre de cibler au mieux les troubles de mon patient et cela va me permettre de mieux communiquer avec ce dernier.
Un questionnaire français : le DN4
Afin de pouvoir estimer la probabilité d’une douleur neuropathique, le patient doit répondre à chaque item des 4 questions. Si le score total est supérieur ou égal à 4/10 alors nous retrouvons ces ratios de vraisemblance RV + 4.5/RV – 0.24. Ce questionnaire est même meilleur dans l’aide diagnostic chez une population diabétique RV + 9,6/RV-0.22.
Le test de référence était le classement de patients atteints de neuropathies par des cliniciens experts, indépendants « Neuropathic Pain Special Interest Group (NeuPSIG) of the International Association for the Study of Pain (IASP) ».
Pour ce qui est du diagnostic de radiculopathie, le DN4 montre ces ratios de vraisemblance RV + 1,32/RV -0,56, avec le même test de référence.
Le DN4 est donc un questionnaire utile afin de dépister des douleurs neuropathiques et non des radiculopathies.
D’autres questionnaires valides et fiables existent, le LANSS, le painDETECT, le ID Pain et ont tous une bonne validité discriminante pour dépister la présence de NePC chez les patients. Malgré l’utilisation de tous les tests, 20 à 30 % des patients ayant un NePC n’ont pas pu être classés comme ayant une composante neuropathique par la seule utilisation de ces tests, ce sont donc 20 à 30 % de faux négatifs. De faux positifs apparaissent également lors d’atteintes douloureuses chroniques. Ainsi, tous ces questionnaires ne peuvent être utilisés qu’à titre d’indice initial dans le dépistage des NePC, mais ne remplacent pas le jugement clinique qui se doit d’être couplé aux tests neurologiques et aux tests neuroméningés.
Merci de m’avoir suivi jusqu’ici. J’espère vous avoir donné des informations qui vont modifier positivement votre manière d’aborder les neuropathies et leurs diagnostics. Ceci n’était qu’une partie infime de ce qui existe concernant les neuropathies. Cependant c’est une partie nécessaire et incontournable qui devrait faire partie de l’enseignement de base en IFMK. Savoir faire les tests, les interpréter correctement et savoir quoi en tirer.
Pour toutes questions ou débat autour du sujet de ces billets de blog, des neuropathies périphériques (musculosquelettique), la neurodynamique, ou obtenir les références :
Bryanlittre.physio@gmail.com
Ou Bryan Littré sur facebook